I thought you'd be there

J'aurais aussi pu écrire que je la déteste, mais ç'aurait été la petite fille qui aurait parlé. Alors, on aurait pensé à une crise momentannée. Malheureusement, c'est permanent. Mais la réalité c'est qu'elle, elle ne m'aime pas.

Petite, je me disais que si. Je me disais qu'elle m'aimait mais que je ne pouvais pas comprendre. Je me disais qu'elle me disait ces choses-là pour mon bien, que je la remercierai plus tard. Eh bien non, je ne lui dois rien de bon et je ne peux pas lui dire merci pour quoi que ce soit.

Ma mère est une femme charmante, là n'est pas la souci. Elle est très agréable en société et s'occupe énormément des autres. Son principal défaut et de ne pas assez exprimer ses besoins à elle. Aujourd'hui, un cancer du rein lui fait payer ce manque de parole.

A mon sujet, elle n'a pas manqué de mots. J'ai été une souillon, une conasse, une égoïste. J'ai aussi été sa biche, quand ça l'arrangeait. Si j'appelais dans la nuit, je dérangeais. Si un problème survenait à la maison, on m'appelait. Où avais-je mis les papiers de la voiture ? Mais je ne savais même pas qu'une voiture avait des papiers !

Je n'ai pas été une enfant battue, je n'ai pas été une enfant violée, j'ai été une enfant mal aimée. J'ai été la fille qui dérange, sans comprendre où était ma faute. J'ai tout fait pour contenter ma mère, pour qu'elle soit fière de moi. J'en suis tombée en dépression. J'ai quitté l'école que j'avais intégré et elle me le reproche encore.

Je n'ai jamais été à la hauteur des espérances de ma mère, mais j'ignore finalement quelles ont pu être ses espérances. Je me suis sentie coupable pendant des années de la relation affreuse que nous avons entretenue, enre engueulade, pleurs et insultes. Mais j'ai aussi tout fait pour l'arranger et aujourd'hui, en tant qu'adulte, je pense que la petite fille que j'étais ne pouvait pas avoir une telle responsabilité sur la relation maternelle qu'elle subissait.

Je me suis toujours sentie étrangère des autres, dans cette relation maternelle conflictuelle. A la maison, personne ne prenait parti. Une fois, mon fèrre m'a soutenu. J'étais déjà en terminale. Un professeur m'avait pris en grippe et ma mère me pourrissait à ce sujet. Pourtant, j'étais l'une des meilleures élèves de la classe et je n'avais jusque là eu aucun problème de toute ma scolarité. Mon frère a fait valoir cet argument et l'engueulade a été stoppée. J'ai arrêté de suivre les cours de ce professeur. Je n'avais pas trouvé de meilleure solution.

Petite, toute petite, j'écrivais des lettres à ma mère. C'était les lettres qu'elle ne lirait jamais. Je lui disais qui j'étais et combien elle me faisait de mal. Jamais je n'aurais assumé de le lui dire de visu. Jamais je n'aurais assumé la moindre faiblesse devant elle. Si je pleurais, je me faisais engueuler. J'ai découvert très récemment ce que signifie "consolation". Je connaissais ce mot mais j'en ignorais le sens et l'effet. J'ai toujours refusé qu'on me console. J'ai souvent pleuré et culpabilisé de le faire. Mais les larmes soulagent aussi et je ne les ai jamais retenues.

Lorsque je suis loin de leur maison, dans un chez moi ou un chez des amis, je suis serviable, je suis amicale, je suis gentille. Je suis ce qu'elle a tellement voulu que je sois. Je m'oublie presque et je sais que je dois faire attention à ne pas m'oublier au point de devenir comme elle. Lorsque je suis chez elle, à la maison parentale, je m'ennuie, je suis aigrie. Je ne bouge pas de l'ordinateur et ne parviens pas à apporter l'aide que j'aurais aimé apporté. J'ai culpabilisé cette année de cette situation.

Je suis revenue habiter chez eux pour éviter de payer un loyer mais aussi pour passer du temps avec ma mère et la soutenir pendant sa maladie. Pourtant, j'ai beau savoir que je peux repasser, faire la cuisine, faire du ménage, je reste inactive. J'ai fini par réaliser que lorsque je faisais ces choses-là, je récupérais de nouvelles requêtes, de nouvelles exigences et que je devais sacrifier ma vie pour continuer dans cette voie. En parallèle, si mon frère bouge le petit doigt, il récupère des éloges et des remerciements. Alors finalement, si je reste démunie devant l'ordinateur au lieu d'aller aider, c'est sans doute parce que mon aide ne sera jamais appréciée.

Par ailleurs, j'ai réalisé que j'ai également besoin de soutien, et ce depuis toujours ! Pourtant, je n'en ai reçu qu'une seule fois. Lorsque j'ai passé les concours des écoles d'ingénieurs, j'en avais demandé. Mon père m'a appelé chaque matin, pour s'assurer que j'étais éveillée et prête à aller composer. C'est la seule fois où mes parents m'ont accompagnée. Enfin, c'était mon père. Le reste du temps, j'ai toujours dérangé. Alors pourquoi devrais-je aujourd'hui soutenir ma mère, l'accompagner, l'écouter, la consoler... Alors qu'elle n'en a jamais rien fait pour moi ?

Je l'ai fait, je suis présente. Mais je vais partir. Je vais aller vivre ma vie loin d'eux et de leur amour puant. Car oui, mes parents s'aiment. Ils s'aiment plus que tout. Et cette année, j'aurais pu être leur larbin.

J'ai voulu rétablir une communication, il y a quelques années.

J'ai raconté mon viol, cette première fois non désirée à 17 ans. Je l'ai raconté par internet et j'ai eu une réponse de même de leur part. Depuis, ce cas n'a jamais été évoqué. Il m'avait fallu des années pour nommer ce qui avait eu lieu cette nuit-là. J'avais porté plainte peu avant de leur parler de ça. Ma mère m'a soutenu qu'il n'y aurait pas de suite, fataliste. Je n'ai donc pas eu la force d'aller voir la juriste qui m'avait invitée à revenir la voir deux mois après la plainte, pour soutenir mon dossier.

Je leur ai aussi parlé de ma dépression, quand elle a eu lieu. Et mon père a su quand j'avortais. Plus tôt, ils ont aussi su que je me faisais malmener au collège.

Ils ont su mes problèmes, et je n'ai jamais pu pleurer dans leur bras. J'ai accueilli leurs larmes dans les miens. Et j'ai cru que j'en serais plus proche d'eux.

Je sais que ce blog n'est pas lu. Peut-être le sera-t-il plus tard. C'est sans doute cette actuelle non lecture qui me permet d'écrire et de tout lâcher sans ordre, sans artifice. Plus tard, peut-être, j'aurai des commentaies. Certains me reprocheront ce qu'ils croient être de l'ingratitude. D'autres me plaindront.

Y aurai-t-il quelqu'un capable de me dire comment sortir de ce cercle vicieux et me construire, maintenant, loin des reproches et des insultes de ma mère ? Loin de ses affirmations selon lesquelles personne ne peut m'aimer, loin de cette culpabilité de ne faire que le mal.

J'ai encore beaucoup à dire à ce sujet. J'ignore si ça peut changer quelque chose. J'ai mal au ventre...